mardi 22 août 2017

Néonazis, extrême-droite

Un site néonazi pousse le Web américain à se questionner sur la liberté d'expression (22.08.2017)
« Peut-on frapper un néonazi ? » : la violence à l’épreuve de l’éthique (21.08.2017)

Un site néonazi pousse le Web américain à se questionner sur la liberté d'expression (22.08.2017)


Mis à jour le 22/08/2017 à 12h09 | Publié le 22/08/2017 à 11h34


The Daily Stormer a été abandonné par la plupart de ses intermédiaires en ligne. L'affaire pose la question de la responsabilité des hébergeurs et de leurs valeurs morales.

Un site néonazi a-t-il le droit d'exister sur Internet? Depuis une semaine, le Daily Stormer est inaccessible pour la plupart des internautes. Cet influent site d'extrême droite a été abandonné par les entreprises qui permettaient son hébergement en ligne. En cause, la publication d'un article insultant Heather Heyer, l'Américaine tuée alors qu'elle manifestait contre l'extrême droite à Charlottesville. Cette énième polémique a été celle de trop: le Daily Stormer a perdu un à un ses intermédiaires techniques. En fin de semaine, il a finalement été forcé de se replier sur une adresse uniquement accessible via le réseau anonyme et décentralisé Tor, sur le Dark Web et sans l'aide d'entreprises. L'affaire symbolise le malaise de la société américaine, et de l'industrie des nouvelles technologies en particulier, face à la montée de l'extrême droite en ligne.


Lois et valeurs morales

Les entreprises qui ont abandonné le Daily Stormer sont des intermédiaires du Web: sans elles, un site ne peut pas être hébergé ou consulté . GoDaddy, une entreprise spécialisée dans la gestion de noms de domaine sur Internet, a résilié son contrat avec le site quelques heures après la publication de l'article. Google et la société Tucows, sollicités par le Daily Stormer, ont refusé de l'aider. Cloudflare, qui propose notamment un service de CDN (pour charger rapidement un contenu en ligne), a lui aussi mis fin à sa collaboration au site. NameCheap, brièvement utilisé par la plateforme, a suspendu ses services dimanche.

Aux États-Unis, les acteurs du Web ne sont pas obligés de modérer les propos haineux. La décision des intermédiaires du Daily Stormer est donc motivée par la morale, et non par la loi. De fait, tous ont invoqué leurs règles d'utilisation pour justifier leur abandon. Exception notable, Cloudflare a d'abord accepté de continuer à travailler pour le Daily Stormer, argumentant qu'il n'était pas un hébergeur, et qu'il n'avait donc pas à juger les contenus diffusés par ses clients. Son PDG a finalement décidé de mettre un terme au contrat. «Il s'agit de ma propre décision, et non d'une évolution de nos règles d'utilisation», a précisé Matthew Prince dans un mail envoyé à ses employés. «Les gens qui s'occupent du Daily Stormer sont des connards et j'en ai eu assez.»

En France à l'inverse, un hébergeur peut être attaqué en justice s'il met délibérément en ligne du contenu illicite, ou s'il ne le retire pas après l'avoir constaté. C'est le cas de la diffamation, de la pédopornographie, de l'incitation à la haine raciale, de l'apologie de crimes de guerre ou du terrorisme. Au début des années 2000, Yahoo! a été condamné en France pour avoir permis la vente d'objets nazis sur son site d'enchères. L'entreprise s'était défendu en brandissant, en vain, le premier amendement de la Constitution américaine qui garantit la liberté d'expression.

«Un précédent dangereux»

L'abandon du Daily Stormer par ses partenaires ne réjouit pas tout le monde. Le PDG de Cloudfare a lui même qualifié l'affaire de «dangereuse». «Nous devons avoir une conversation sur qui et quel genre de contenus doit être contrôlé en ligne. Il n'était pas possible d'en discuter tant que le Daily Stormer nous utilisait et que nous étions qualifiés de nazis», plaide Matthew Prince. «Je me suis réveillé de mauvaise humeur et j'ai décidé que quelqu'un n'avait plus le droit d'être sur Internet. Personne ne devrait avoir ce pouvoir.» Près de 10% du trafic Internet mondial transite aujourd'hui par Cloudflare. Ce discours est similaire à celui de l'EFF, une fondation dédiée à la défense des libertés en ligne, qui s'inquiète de cette situation. «Les plateformes en ligne ont le droit de choisir quel genre de discours peut apparaître grâce à leur service», précise-t-elle, en citant la loi américaine. «Mais ce qu'ont fait GoDaddy, Google et Cloudflare est dangereux. (...) Si ces entreprises commencent à choisir qui peut accéder à leurs prestations selon des considérations politiques, des gouvernements ou d'autres entités pourront invoquer ce pouvoir [et l'utiliser à leurs bénéfices].»

L'organisation plaide pour que les entreprises du Web soit plus transparentes dans leur processus de contrôle des contenus en ligne, et dénonce un certain opportunisme. «Avoir une procédure claire est mieux que d'agir à cause d'une polémique dans la presse», explique l'association. Vendredi, l'entreprise BitMitigate, petit acteur de CDN, a annoncé fournir ses services au Daily Stormer. «Je trouve leurs idées stupides, mais ce n'est pas à moi de les juger», a expliqué son PDG au site ProPublica. «Et je me suis dit que ça ferait de la publicité pour mon service.»

Cette question de l'équilibre entre la liberté d'expression et les valeurs morales dépasse Internet. L'ACLU, l'Union américaine pour les libertés civiles, a provoqué la polémique après avoir défendu la manifestation de Charlottesville, organisée par des militants d'extrême droite. Elle était déjà venue en aide à Milo Yiannopoulos, figure du mouvement alt-right. Néanmoins, là où l'ACLU se contente de représenter des personnes devant des tribunaux, les intermédiaires du Web peuvent empêcher un site d'être accessible en ligne, et créer leurs propres lois sur Internet.

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« Peut-on frapper un néonazi ? » : la violence à l’épreuve de l’éthique (21.08.2017)
Après le drame de Charlottesville, le mot-clé #PunchANazi fait débattre de la légitimité de la violence à l’égard des militants d’extrême droite.

LE MONDE | 21.08.2017 à 11h53 • Mis à jour le 22.08.2017 à 11h48 | Par Lina Rhrissi

L’organisateur du rassemblement « Unite the Right », Jason Kessler, aidé par la police après avoir été attaqué par une femme pendant sa conférence de presse à Charlottesville (Virginie), le 13 août 2017.
Fait symptomatique de la présidence Trump, c’est la deuxième fois en un an que le mème « Punch a Nazi » (« Frappe un néonazi ») est à l’affiche des réseaux sociaux américains. Une sorte de catharsis digitale à l’heure où le président des Etats-Unis défend les monuments en hommage aux confédérés, ménage l’extrême droite américaine et refuse de désapprouver explicitement les suprémacistes blancs après le drame de Charlottesville, en Virginie.

Dimanche 13 août, le lendemain de la manifestation « Unite the Right » qu’il a organisée dans cette ville américaine de l’Etat de Virginie, le militant nationaliste et raciste Jason Kessler a été frappé à plusieurs reprises avant d’être chassé de l’endroit où il devait donner une conférence de presse.

En janvier, le mot-clé avait déjà émergé lorsque le militant d’extrême droite Richard Spencer, considéré comme l’inventeur du terme « alt-right », avait reçu un coup de poing en pleine interview à Washington. La vidéo de l’agression a été vue plus de trois millions de fois sur Youtube et a donné lieu à de nombreux détournements en ligne.

Lire aussi :   Charlottesville : le documentaire glaçant de « Vice News » dans les rangs des suprémacistes américains

Le réflexe antinazi ancré dans la culture populaire 

Dans le but de rappeler le soi-disant ancrage de cet acte dans la tradition américaine, des internautes font référence à la pop culture. L’aventurier Indiana Jones se bat contre des soldats nazis dans plusieurs de ses films et le héros du premier Captain America, comics sorti en 1941, donne une raclée mémorable à Hitler.

« Aussi américain que la tarte aux pommes », estime Gerry Duggan, auteur américain de comics.
Comme le rappelle le site Mother Jones, l’histoire elle-même est pleine de confrontations physiques avec les partisans du IIIe Reich et leurs semblables. De la bataille de Cable Street à Londres, en 1936, où des milliers de fascistes ont été empêchés de manifester par une gigantesque coalition de juifs, de dockers et de communistes, à la marche « Death to the Klan » en Caroline du Nord, en 1979, au cours de laquelle trois manifestants antifascistes ont été tués.

Le débat est revenu en boucle sur Twitter et dans les médias en ligne après les événements de Charlottesville : « Is it OK to punch a Nazi ? » (« Est-ce acceptable de frapper un néonazi ? ») Les partisans de la méthode forte s’accordent pour trouver cet acte jouissif et symbolique nécessaire à la lutte contre la résurgence d’idéologies fascistes.

Répondre à la violence par l’indifférence

En face, certains utilisateurs leur répondent que le nazisme a beau être une opinion révoltante, la violence n’est probablement pas la méthode la plus efficace.

Le site d’information américain Vice est allé poser la question à Randy Cohen, spécialiste des questions d’éthique. Pour lui, la réponse est simple : « Non. Vous ne pouvez pas frapper les gens au visage, même si leurs idées sont odieuses. » Dans une société où prévaut la liberté d’expression, l’auteur américain estime que répondre par la violence revient à imiter les méthodes des antidémocrates.

Selon le philosophe slovène Slavoj Zizek, interrogé par Quartz, plutôt qu’un coup de poing, les opposants au fascisme doivent opter pour la violence passive et symbolique de Ghandi, faite de grèves et de manifestations pacifiques. Les néonazis ou assimilés comme Jason Kessler et Richard Spencer doivent être ignorés, traités comme des non-personnes, puisque les toucher leur apporte de la reconnaissance.

La lutte pour la justice est nécessairement subversive

Des arguments balayés par le Sud-Africain Tauriq Moosa dans une tribune du Guardian. Le chroniqueur considère qu’il s’agit d’un véritable dilemme éthique qui fait entrer deux règles morales en concurrence : « La violence, c’est mal » et « combattre le nazisme, c’est bien ». Pour lui, la normalisation des idées suprémacistes impose l’instauration d’une nouvelle règle morale selon laquelle il faut lutter contre le climat social qui accepte et nourrit le racisme.

« Frapper un néonazi, c’est affirmer que les idées racistes ne seront pas tolérées. Cela signifie que les gens qui veulent me voir moi et ma famille assassinés ne méritent pas le même respect que les autres. »

Pour appuyer son propos, Tauriq Moosa renvoie à un passage de la lettre de Martin Luther King rédigée en 1963 de sa prison de Birmingham à destination des « Blancs modérés », qui l’ont « gravement déçu ». Le pasteur y déplore :

« Le blanc modéré qui est plus attaché à l’“ordre” qu’à la justice ; qui préfère une paix négative issue d’une absence de tensions, à la paix positive issue d’une victoire de la justice ; qui répète constamment : “Je suis d’accord avec vous sur les objectifs, mais je ne peux approuver vos méthodes d’action directe” ; qui pense de façon paternaliste qu’il peut diriger l’agenda de la liberté d’un autre homme et qui conseille systématiquement au Nègre d’attendre “une saison plus appropriée”. »


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